Démocratie
La définition imposée par l’étymologie : Démos/Peuple et Kratos/Pouvoir indique que le pouvoir appartient au peuple qui se gouverne lui-même.
Dans le contrat social de Jean-Jacques Rousseau la démocratie est une « forme d’association dans laquelle chacun s’unissant à tous, n’obéit pourtant qu’à lui-même, et reste ainsi aussi libre qu’auparavant. »
Pour Sieyès, chacun participe à l’élection d’un Parlement qui débattra de l’intérêt général pour élaborer les lois qui définiront ainsi l’expression souveraine du peuple.
Entre mandat impératif et mandat représentatif l’Article VI de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ne tranche pas :
La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.
Le dictionnaire de philosophie s’y conforme en indiquant que la démocratie serait un type d’organisation politique dans laquelle c’est le peuple c’est-à-dire l’ensemble des citoyens sans distinction de naissance, de richesse, ou de compétences, qui détient ou contrôle le pouvoir politique.
Au regard de ces définitions nous appréhendons la difficulté de répondre à la question posée. La démocratie utopie quasi-impossible et néanmoins féconde ne peut en effet se décliner en un modèle unique de gouvernement.
Valeur universelle
Toutefois plus qu’une valeur qui appartiendrait au domaine « moral », la démocratie repose sur des principes fondés en Droit, et auxquels toute l’Humanité aspire.
Exportable
Oui la démocratie est un Bien pour tous ; Et non pas un bien marchand, même à l’heure de la libéralisation et de la globalisation « triomphantes » de l’économie.
L’exportation illustre la démocratie comme relevant du domaine marchand, suppose également un point de sortie et un point d’entrée. Exporter de où à où ? De la France, de l’Europe vers ailleurs ?
Le modèle démocratique d’un pays serait ainsi directement applicable à un autre pays ? Certains endroits du globe seraient-ils moins démocratiques que nos contrées parce que la manière d’y vivre, être et penser, de se distraire, se cultiver et d’y entretenir des relations sociales est différente de la nôtre ?
La question apparaît aux Frères de l’Atelier comme nourrie de/et alimenter la théorie néo-impérialiste du choc des civilisations, d’une forme de néo-colonialisme : Occuper et exploiter un territoire en lui imposant sa forme de gouvernement, et lui déniant ainsi la liberté de choisir celle-ci. La tentative d’exportation du droit de la famille en Algérie fut un échec total. Les récentes expériences irakienne, libyenne et afghane nous ont une fois de plus éclairés sur ce point.
La démocratie relève donc d’un effort, d’un apprentissage sans fin, progressif parfois régressif en son sein : Appréhender une construction, la réviser, et à chaque étape de celle-ci la raison devant elle-même se saisir. L’histoire du XXème siècle avec entre autre l’accession au pouvoir d’Hitler par les urnes doit nous le rappeler.
La démocratie émerge en jachère, se cultive puis s’émancipe de son humus. C’est pourquoi elle ne découle pas seulement d’un ensemble de procédures, et que la rédaction d’une Constitution ne peut procéder d’un simple copier coller.
Passer de l’aspiration démocratique à sa concrétisation nécessite un processus constituant dans lequel chacun apprend à accepter l’autre dans sa différence.
Il nous appartient donc de réfléchir aux conditions qui peuvent entraver la concrétisation de cette société pensée ou rêvée en une société politiquement organisée ou simplement consciente et ne pas avec a priori et certitudes présomptueusement supposer notre modèle démocratique comme abouti et exportable.
Les entraves
Il y a quelques années le constructeur automobile Renault au travers de l’une de ses publicités nous invitait à entrer dans le cercle et la communauté pour mieux nous désunir dans un mode de vie consumériste en affirmant ce dernier comme pouvant être au contraire constitutif de notre identité. Les sociétés privées mettent depuis de plus en plus en avant leurs propres « valeurs d’entreprise » : autant de guillotines pour nos principes unificateurs.
Dans une étude datant de 2002 Édouard Wolff démontrait que 50% du surcroît de richesse créé aux Etats-Unis entre 1983 et 1998 a bénéficié au 1% des ménages les plus aisés est 90 % de cette même richesse au 20% des ménages déjà les plus favorisés.
En France le mode de gouvernance des sociétés du CAC40 est un bon exemple de gestion oligarchique : Les dirigeants de ces entreprises se retrouvent au sein de plusieurs des conseils d’administration concernés, et se définissent ainsi plus aisément leur propre rémunération.
En Europe la commission européenne a fait le choix de la défense de la libre concurrence sans que cela ait préalablement fait débat. Non élue, elle impose ses choix aux pays membres. Les conditions sociales d’existence des peuples grec, portugais, et espagnol sont aujourd’hui catastrophiques.
Environ 3000 groupes d’intérêts occupant 10000 personnes sont particulièrement actifs à Bruxelles. Pour les commissaires il s’agit d’un « dialogue ouvert et structuré » avec lesdits groupes. Les Eglises sont particulièrement choyées. C’est ainsi qu’à l’occasion du débat sur le projet de TCE, le Vatican lui-même demanda l’ajout d’un paragraphe instituant un accès privilégié des Eglises auprès des présidents des institutions. Au Parlement français les lobbies les plus actifs sont ceux du tabac, de l’alcool, du nucléaire et de la chasse.
La soumission aux marchés, le durcissement des contraintes qui s’imposent aux gouvernements nationaux et destinées à réduire leurs prétentions re-distributives, modifient considérablement les rapports de solidarité au sein de nos sociétés et y détruisent ainsi progressivement le champ de la démocratie.
Les cléricatures de l’argent et religieuses continuent d’œuvrer pour faire vaincre leurs vérités pour le bien être de la société selon leurs propres convictions et intérêts, et manifestent ainsi leur préférence de la ploutocratie et de la théocratie à la démocratie.
Rappelons…
Rappelons que dans le monde la démocratie n’est pas née de la France. En France la révolution de 1789 en reste l’un des actes fondateurs, le résultat de plusieurs décennies voire siècles du long cheminement de la laïcisation de la pensée. La monarchie de Droit divin fait place à la République, les sujets deviennent alors des citoyens libres et égaux en droit.
Rappelons que l’expression de l’ensemble des citoyens fonde la souveraineté du peuple, laquelle se traduit donc dans un régime démocratique par le suffrage universel. Si ce dernier se pose comme un préalable, il ne semble pas suffisant.
En Inde souvent mentionnée comme étant la plus grande démocratie du monde, l’existence de droits particuliers pour certaines castes subsiste. Un « intouchable » y fut pourtant élu président de la République tandis qu’en France seulement 3% des députés sont des ouvriers qui pourtant représentent la moitié de la population.
Rappelons que la vitalité démocratique ne dépend pas, contrairement à ce qui est affirmé par une certaine littérature économique, du niveau de confort mais qu’il est aussi difficile de penser la société lorsque l’on a pas les moyens de sa propre subsistance.
Rappelons également que le droit à la différence ne saurait justifier la différence des droits, que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Relisons le discours d’adieu d’Eisenhower :
Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant.
Rappelons nous donc aujourd’hui encore cette impérieuse nécessité de des-imbriquer le pouvoir politique du pouvoir économique pour mieux localiser voire relocaliser les centres de décisions.
En conclusion
Mais pour être capables de cet effort, et là sera notre conclusion, plus que des consommateurs nous devons être des citoyens informés, munis d’esprit critique. Le pouvoir aux mains du peuple est un but absolu. La démocratie n’est ni une valeur ni exportable, elle est un principe et donc une exigence à l’amélioration de laquelle nous devons travailler sans relâche pour qu’elle demeure une aspiration pour tous.
Des Frères du GODF .